De l’inanité de l’évaluation des activités de l’enseignement supérieur et de la recherche par des autorités indépendantes et de la vanité de celles et de ceux qui y participent.

Le 21 mars 2025, France Université publiait un communiqué de presse intitulé : Le principe d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche par une autorité indépendante est indispensable pour garantir l’autonomie de l’Université. Dans ce communiqué, on peut lire la chose suivante.


« Les avis provisoires de la Vague E du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), transmis pour échange contradictoire le 14 février dernier, ont suscité de l’incompréhension et de la colère auprès de certains universitaires.
France Universités ne soutient pas les prises de position remettant en cause la légitimité du Hcéres et sa capacité à évaluer la formation, la recherche et la stratégie des établissements. Elle affirme au contraire son attachement au principe fondamental d’une évaluation indépendante, exigeante et qualitative de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle rappelle également que le résultat de l’évaluation n’est en aucun cas l’expression d’une décision de l’autorité en charge de l’accréditation des formations… ».


Nous sommes en désaccord total avec cette prise de position. Nous considérons qu’elle trahit l’esprit de collégialité basé sur le jugement par les pair·es qui fonde le fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’évaluation par les pair·es est l’une des conditions de la démarche collective qui conduit à l’élaboration et la transmission des savoirs vérifiables (et vérifiés). C’est un travail dans lequel nous sommes engagé·es au quotidien dans notre activité de relecture de textes soumis à publication, dans notre participation aux jurys de thèse ou d’habilitation, dans notre expertise de projets scientifiques. Comme nous contribuons à cette expertise collective, nous nous y soumettons, que ce soit pour entrer dans la carrière universitaire ou de recherche ou au cours de nos carrières, par exemple lors de candidatures à des promotions.


Les lieux de ces évaluations existent. Ils se nomment CNU, ou encore Comité National du CNRS. Composés majoritairement de collègues élu·es et complétés par des nominations souvent proposées par les présidentes et présidents de section sortant·es.  La valeur de ces instances est reconnue par le collectif car elles sont précisément issues de la communauté. Nous le répétons ici, la notion de pair·es nous est essentielle. La recherche et l’université fonctionnent de cette manière car le savoir en cours de construction ne peut s’évaluer que par des personnes impliquées dans le processus collectif de recherche sur ces savoirs.

Les instances dites indépendantes telles que l’ANR ou le HCERES sont au contraire des courroies de transmission de la politique des gouvernements et de leurs administrations. Certes, des collègues y participent, mais n’y sont pas élu·es. ils et elles ne représentent pas leurs communautés, mais les intérêts des instances qui les nomment. L’ANR est une agence de pilotage de la recherche autant que de formatage de la production scientifique, dans une logique clairement marchande (certains objets scientifiques ont plus de valeurs que d’autres). Le HCERES relève de la même logique : imposer des modes de gouvernance, notamment par le recours à des critères dits d’excellence pour classer les unités de recherche et les collègues, mais aussi imposer des principes pédagogiques telles que l’approche par compétences dans les formations, souvent contre l’avis des collègues. Nous dénonçons depuis longtemps ces agences, comités et conseils, mais force est de constater que le danger qu’ils constituent devient clair dans le monde actuel car ce sont autant d’instances prêtes à servir un gouvernement qui serait tenté par l’illibéralisme, comme on le voit Outre-Altlantique.

En soutenant le HCERES, France Universités commet une faute selon nous, car les présidences d’université se positionnent contre les collègues au lieu de les soutenir. Nous ne croyons pas un instant que l’affaire de la vague E soit une erreur de timing, de communication, de procédure ou quoi que ce soit d’autres. C’est l’affirmation d’une volonté de mettre au pas les établissements et les collègues. Fort heureusement, les député·es de la commission spéciale ont voté lundi 24 mars un amendement, porté par des députés du groupe Écologiste et Social, visant à supprimer le HCERES, qualifiant l’instance d’« outil bureaucratique d’évaluation » produisant une « évaluation normative et idéologique » et estimant que le Haut Conseil vise à « introduire des logiques de gestion néolibérale dans les administrations publiques » ce qui « déstabilise les collectifs et renforce la souffrance au travail ». Nous sommes en plein accord avec ce constat.

Devons-nous rappeler qu’une présidence d’université correspond à un mandat électif temporaire et qu’elle est donc redevable devant sa communauté. Ce n’est pas une nomination. Au contraire d’un recteur ou d’une rectrice qui est nommé·e par l’administration pour en appliquer la politique élaborée ailleurs et par d’autres. D’un côté des pair·es élu·es, de l’autre des gestionnaires nommés. Entre ces deux manières de conduire la politique, nous faisons aisément notre choix.
Quel que soit l’avenir de l’amendement des député·es, nous rallions l’analyse de la CGT : notre évaluation de l’HCERES et de l’ANR est claire, il faut les supprimer.

Enfin, pour terminer sur une note humoristique, nous allons rappeler une anecdote qui s’applique si bien à l’ANR. Le physicien hongrois Leó Szilárd, qui a fui le nazisme pour le Royaume-Uni puis les États-Unis était un collaborateur et ami d’Albert Einstein, qu’il a convaincu d’écrire à Roosevelt la fameuse lettre qui a motivé la création du projet Manhattan. Après les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, Szilárd a milité activement pour le désarmement et s’est interrogé avec un regard critique sur les progrès de la science. En 1961, il écrit un recueil, La Voix des dauphins, dans lequel figure une nouvelle où il envisage le cas d’un riche mécène inquiet des progrès trop rapides de la science et qui souhaiterait investir, afin de ralentir les activités scientifiques. Son interlocuteur lui propose alors de créer une fondation de financement de la recherche. Cette fondation devrait être formée de comités composés des meilleurs scientifiques, présidés par de non moins éminents scientifiques, qui sélectionneraient les projets les plus convaincants parmi ceux déposés par leurs collègues afin de les doter abondamment. Pendant que cette agence occuperait les « meilleurs » à évaluer et les autres à écrire et déposer des projets, la recherche s’en trouverait considérablement ralentie et appauvrie.